Les tomates d’Olivier

Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), près de 5 000 repas sont concoctés chaque jour, composés d’un minimum de 50 % de denrées québécoises. L’établissement de santé souhaite que cet apport croisse chaque année, lentement mais sûrement. « Comme un brocoli qui pousse et devient grand », illustre joliment Annie Lavoie, chef du secteur de l’approvisionnement et responsable de la restauration, direction des services multidisciplinaires. Pour y parvenir, son équipe participe entre autres au programme Aliments du Québec au menu — Institution.

 

Crédit photo : Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM)
Crédit photo : Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM)

 

Annie Lavoie se souvient bien du jour où, au beau milieu de la « salle des ingrédients », — jargon interne pour désigner le lieu de préparation et de transformation au CHUM —, elle a annoncé à sa brigade le virage bleu qui serait entrepris. La réaction des employés des services alimentaires fut pour le moins négative. « Ils avaient des craintes, des appréhensions. Ils me disaient : “toi et tes lubies d’approvisionnement local, ça va coûter plus cher et on va devoir travailler plus” », raconte-t-elle en souriant, laissant présager une fin heureuse.

Celle qui a dirigé les cuisines de l’Hôtel-Dieu avant la fusion vers le CHUM en 2017 est portée par des valeurs de développement durable. Sa volonté de préserver l’environnement et de faire la part belle aux artisans de la province est palpable et contagieuse. Elle raconte avoir tenu mordicus à inscrire son employeur au programme Aliments du Québec au menu – Institution, conçu en partenariat avec Équiterre et appuyé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Dans le cadre de ce programme, la gestionnaire a dû dresser l’inventaire de tous les ingrédients et articles qui sont commandés au centre de soins, sans exception, afin d’en vérifier la provenance. Pour ce faire, elle a pu consulter le répertoire du site web d’Aliments du Québec, lequel présente 1 390 pages de produits vérifiés. « Une base de données exhaustive d’une valeur vraiment inestimable », soutient-elle.

Quand un élément n’y figurait pas, des experts de l’organisme en identifiaient l’origine à sa place. En plus de l’accompagnement, des tableaux de saisie, guides, webinaires, fiches pratiques et idées de recettes standardisées lui étaient offerts. L’objectif était bien sûr de trouver un maximum de substituts locaux aux denrées importées, ce qu’elle s’est appliquée à faire en tenant compte de sa réalité d’affaires. Résultat ? Le CHUM est maintenant reconnu au programme Aliments du Québec au menu, et peut brandir fièrement le logo officiel en poussant toujours plus loin sa démarche.

Plaisir et engagement 

À l’hôpital, l’attitude réfractaire initiale des troupes est balayée dès la première livraison des récoltes et viandes d’ici. « Les employés à la production se disaient : “Wow, as-tu vu la couleur des tomates ? Elles sont tellement belles, et si grosses qu’on fait un sandwich avec une tranche !” », se remémore Annie Lavoie, satisfaite. Au-dessus des comptoirs de coupe, on hume avidement les légumes « qui sentent encore le plant », et l’enthousiasme est tel qu’il fait tache d’huile dans tout le complexe de la rue Sanguinet, si bien que des travailleurs affiliés à d’autres secteurs viennent fouiner dans les réfrigérateurs pour jauger de leurs yeux la taille et la teinte des tomates. Les cuisiniers leur font goûter ces trésors sucrés.

Crédit photo : ITHQ
Crédit photo : ITHQ

Le programme Aliments du Québec au menu – Institution mobilise la main-d’œuvre et participe à son sentiment d’appartenance, selon Brigitte Marcotte, chargée de projet pour la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois (SNAAQ) au Centre d’expertise de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), qui offre des services d’accompagnement aux organismes publics afin qu’ils se dotent d’une cible d’achat local exigé par le gouvernement provincial. « Les cuisiniers sont heureux de manipuler des matières premières fraîches et de qualité, et on leur donne la chance de connaître leur environnement, ce qui est à proximité dans les régions, avance-t-elle. Ils deviennent des facteurs de changement qui introduisent et mettent en valeur les produits, et on est fiers d’être un ambassadeur de chez soi, de sentir que l’on contribue à quelque chose. »

Car offrir des mets d’ici à l’hôpital, dans les CHSLD, à l’école et même en service de garde à la petite enfance peut agir sur les habitudes des consommateurs à la maison. Au CPE La Bambinerie, situé à Alma, le menu est presque 100 % local, et les tout-petits découvrent avec appétit à quel point un légume cueilli chez l’agriculteur du coin est plus savoureux que celui de l’épicerie. Isabelle Gagnon, la responsable en alimentation, en témoigne : « Des parents viennent me voir parce que leurs enfants disent “Maman, papa, ta sauce ne goûte pas comme à la garderie !”. Ils me demandent ce que je mets dedans… ». Celle-ci ne manque pas d’ébruiter son secret : des tomates fraîches de la région.

Crédit photo : CPE La Bambinerie
Crédit photo : CPE La Bambinerie

Parfois, le nouveau rôle d’influenceur des chefs et de son personnel se manifeste de manière encore plus directe et concrète, indique Nathalie Gervais, du CPE Au pied de l’échelle, qui compte trois installations sur la Rive-Sud de Montréal. Mettant à profit son partenariat avec un maraîcher non loin, le milieu éducatif distribue des paniers biologiques à ses familles et… aux voisins.

Créativité et influence

Depuis deux ou trois ans, l’achat local est à la mode et suscite l’engouement des professionnels de la table, observe Sébastien Bonnefis, enseignant en gestion de la restauration et coordinateur au Collège Mérici. Également administrateur de la Société des chefs, cuisiniers et pâtissiers du Québec (SCCPQ), il met toutefois de l’avant que trop peu de ses membres adhèrent au programme Aliments du Québec au menu — Institution, mais qu’un certain engouement se fait ressentir ces derniers mois. Ce dernier serait un défi intéressant pour les chefs qui doivent redoubler d’imagination. Que puis-je proposer plutôt que des ananas en canne ? Une pomme du Québec, un yogourt, des desserts à base de citrouille, tous ces produits sont très abordables. Si certains changements simples peuvent être facilement adoptés, n’en demeure qu’un temps de réflexion est nécessaire. Il faut développer des menus selon les saisons pour mettre en valeur les légumes racines l’hiver et les fraises l’été, ou bien innover pour les conserver toute l’année.

Le programme renforcerait de surcroît la quête de proximité des chefs. « Ça nous incite à aller plus loin : quand on appelle un fournisseur, on va lui demander systématiquement d’où vient ce produit, mais quand on n’est pas dans le programme et qu’on n’est pas obligé, on va probablement faire plus vite, en posant moins de questions », croit Sébastien Bonnefis.

 

Crédit photo : Mérici collégial privé
Crédit photo : Mérici collégial privé

Et des questions, il faut en formuler tout un tas, déplore Sonia Rollet, gérante du café de la COOP du Cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil. Elle regrette que beaucoup de fournisseurs omettent d’afficher sur leur site web de commande les produits vérifiés Aliments du Québec. L’an dernier, durant la convention annuelle de l’un de ses distributeurs, elle a lié sa voix à celle de plusieurs autres pour exiger que cette information soit plus facilement accessible en ligne. À ce jour, aucune trace du logo officiel sur la plateforme numérique de l’entreprise. « Je dois chaque fois la quitter, aller sur le site d’Aliments du Québec pour vérifier la provenance des choses, et ça me prend pas mal de temps », explique-t-elle. Elle souhaiterait également que de plus en plus de producteurs abordent les marques de certification d’Aliments du Québec car il s’agit d’un repère clair pour les acheteurs.

En juin, la fébrilité s’installe chez les employés du CHUM, rapporte fièrement Annie Lavoie ; c’est qu’ils ont hâte de recevoir la première livraison du fermier qui renfloue les frigos chaque été. Car à l’hôpital, on ne se met pas sous la dent de simples tomates ; on mange plutôt « les tomates d’Olivier ».

 

Crédit photo: Maryse Boyce | COOP Cégep Édouard-Montpetit
Crédit photo: Maryse Boyce | COOP Cégep Édouard-Montpetit

En savoir davantage sur le programme

Aliments du Québec au menu – Institution