Lorsque l’offre rencontre la demande

Cette année plus que jamais, la population québécoise a développé un engouement pour l’alimentation locale. Cette tendance a certainement atteint des sommets devant la crise sanitaire et le vent d’autonomie alimentaire apparu dans sa foulée. Ces changements qui s’opèrent désormais tant dans le panier d’épicerie du consommateur que dans la salle à manger des restaurants s’immiscent également dans les petites et grandes cuisines de plusieurs de nos institutions.

 

 

S’il est évidemment plus simple de changer nos habitudes à l’échelle individuelle que dans de vastes réseaux tels les centres hospitaliers, les CHSLD, les cliniques et autres centres de réadaptation, le programme Aliments du Québec au menu – Institution peut se targuer de connaître de belles réussites auprès de certains de ses membres, de véritables « champions » de l’approvisionnement de source durable et locale.

C’est notamment le cas du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui s’active depuis cinq ans déjà à rendre son menu plus durable. « Dans notre cas, on parle plus de durabilité du menu que d’alimentation locale. Or, l’alimentation locale est un élément clé de la durabilité », précise d’entrée de jeu Annie Marquez, chef des activités d’alimentation de l’organisme, qui regroupe quelque 28 services alimentaires. « À peu près six millions de repas par année sont servis. Donc, c’est sûr qu’on a un très gros impact. Dès que l’on fait affaire avec un fabricant d’ici, ça fait une différence. » Lorsqu’une telle infrastructure emboîte le pas, c’est souvent tout le réseau qui en bénéficie.

La première étape, certes laborieuse, est celle de l’évaluation du nombre d’aliments du Québec que l’on achète. C’est ce qu’on appelle la « quantification ». Dans le cas qui nous intéresse, elle a été effectuée par Laurie Maréchal, nutritionniste à la coordination des services alimentaires. « C’est un processus très complexe que nous aurions aimé mettre en place avant, relate Annie Marquez. Comme cette information n’est pas stockée par nos outils actuels de suivi des approvisionnements, il a fallu revenir en arrière et fouiller un peu partout pour repérer les provenances. » Cette étape, qui implique une recherche concernant chaque produit commandé, est nécessaire pour adhérer à la communauté de pratique en alimentation institutionnelle durable montréalaise mise en place par Équiterre en 2020, ainsi que pour être reconnu au programme Aliments du Québec au menu – Institution. Ces deux organismes travaillent conjointement avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) puisqu’ils partagent un objectif commun : augmenter la part d’aliments locaux utilisés dans les institutions publiques québécoises.

De plus en plus facile

« La première fois, ça nous a pris 10 semaines pour pouvoir faire notre quantification, se souvient Josée Lavoie, coordonnatrice des activités d’alimentation au CHU Sainte-Justine. Nos distributeurs n’étaient pas nécessairement aussi sensibilisés que maintenant. Ce n’est toujours pas parfait, mais on sent que plus les gens demandent des aliments locaux, plus les entreprises travaillent fort pour répondre à leurs besoins. »

La quantification, ancrée dans les habitudes de Josée Lavoie et de son équipe pour une quatrième année consécutive, se fera sans aucun doute désormais beaucoup plus rapidement que par le passé. Les listes et registres fournis par Aliments du Québec viennent aussi appuyer les responsables dans leurs démarches, en plus de faciliter la validation et le travail de quantification.

Malgré ses conséquences plutôt négatives, la pandémie aura eu comme effet positif d’encourager le MAPAQ à mettre sur pied la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois, selon Josée Lavoie. « Juste le fait de demander aux gens de quantifier leurs approvisionnements, ça change déjà la donne. Le souhait du ministre André Lamontagne, avec cette stratégie, c’est que chacun fasse sa propre quantification, et donc que chacun se dote de ses propres objectifs. »

De petits gestes simples

Josée Lavoie admet qu’il est peut-être plus simple, puisqu’elle n’a que deux cuisines à gérer, de mettre en place de petites initiatives – comme changer la provenance de ses œufs en troquant son ancien producteur canadien pour une petite coopérative de Saint-Hyacinthe. « Pour nous, c’est simple parce que la coopérative n’a qu’à livrer à un endroit. Je peux comprendre que les enjeux ne sont pas les mêmes pour tout le monde. »

Dans ses établissements, exit les raisins secs et le sirop de table : de petits sachets de canneberges et de bleuets séchés qui proviennent du Québec sont désormais offerts aux patients. Et pour accompagner crêpes ou pain doré, on propose du vrai sirop d’érable.

Des produits plus frais

De son côté, Annie Marquez doit jongler avec une tout autre réalité. « On n’est pas encore organisés pour pouvoir dire “on va acheter telle quantité de bleuets cet été”. Le fournisseur doit être en mesure de livrer des fruits et légumes frais dans tous nos sites. Quand on a 28 services alimentaires, c’est plus complexe. C’est pour ça que l’on travaille avec la communauté de pratique : elle nous aide à faire en sorte que le système réponde mieux à nos besoins et que nous puissions nous approvisionner davantage en aliments frais. »

Même si les clients réclament des aliments frais et locaux, l’avitaillement de ces produits demeure difficile : pour approvisionner les centres hospitaliers, les fruits et légumes livrés doivent être parés – c’est-à-dire coupés et lavés. « Les infrastructures nécessaires pour pouvoir aller vers les légumes frais du Québec n’existent pas encore. Et si l’on doit se tourner vers les légumes surgelés, certaines contraintes s’ajoutent, dont celles des contrats, précise Annie Marquez. Les légumes peuvent provenir du Portugal, de l’Ontario ou encore de l’Égypte. On n’a pas vraiment de contrôle là-dessus, alors qu’on en aurait plus si l’on optait pour des aliments frais. »

Avoir de l’imagination

Afin de profiter de la saison des framboises du Québec, trop fragiles pour être prélavées et servies telles quelles, Annie Marquez a déjà mis son producteur de desserts au défi de cuisiner une tarte uniquement avec ces dernières. De même, pour supprimer l’huile de palme des ingrédients d’un autre dessert, elle a fait affaire avec un fabricant de Trois-Rivières. « Dans le fond, on veut avoir des aliments qui sont cuisinés avec les mêmes ingrédients qu’on aurait utilisés à l’interne, parce que c’est ce que les patients veulent : que ça goûte comme si on l’avait fait sur place. Donc, en faisant affaire avec un fabricant d’ici, on a vraiment pu avoir ce que l’on voulait. Il a modifié ses recettes à partir de celles qu’on lui a envoyées. »

Ces échanges avec des fournisseurs situés à proximité sont plus faciles et permettent d’augmenter l’apport d’ingrédients locaux dans les produits transformés. Ceci permet aussi de démontrer à tous ses acteurs que la part de marché des produits locaux à destination des institutions t réelle.

« Moi, il y a quatre ans, je n’achetais pas de panier bio et je ne cherchais pas juste des aliments locaux à l’épicerie, confie Josée Lavoie. Je pense que la participation à ce processus nous change. Ça nous sensibilise. À l’hôpital, on en a beaucoup parlé avec les employés ; on les a sondés. L’été, lorsqu’on a notre bar à salade, ils sont prêts à payer leurs légumes plus chers parce qu’ils savent qu’on a un agriculteur qui vient les livrer chaque semaine. Ces bonnes habitudes continuent ainsi de résonner dans chacune de nos décisions. »

 

En savoir davantage sur le programme

Aliments du Québec au menu – Institution